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France : Le Sénat abroge le délit de racolage, une étape sur le chemin d’une loi d’abolition ?

Le Sénat a abrogé le 28 mars 2013 le délit de racolage instauré par la Loi de Sécurité Intérieure du 19 mars 2003. Cette loi, qui pénalisait « le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d’autrui en vue de l’inciter à des relations sexuelles en échange d’une rémunération », plaçait les personnes prostituées (mais pas les « clients » prostitueurs) sous la menace de deux mois d’emprisonnement et 3.750 € d’amende.

La proposition de loi d’Esther Benbassa (Europe Ecologie Les Verts) déposée en vue de l’abroger a été votée largement par les partis de gauche, souvent porteurs de critiques et de nuances ; l’UDI-UC s’est abstenue et l’UMP a voté contre.

Le constat a été quasi général : loin de remplir ses objectifs, à savoir diminuer les troubles à l’ordre public et lutter contre les réseaux, la loi sur le racolage a causé des ravages en rendant les personnes prostituées, qui sont des victimes, encore plus vulnérables. Chantal Jouanno elle-même (UDI-UC), conseillère en 2003 du ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy, ne s’en est pas cachée. Quant à Christiane Taubira, garde des Sceaux, elle a précisé qu’il y avait bien eu « une amélioration dans l’élucidation des affaires touchant au proxénétisme puisqu’ “on on est passé de 347 en 2000 à 565 en 2011” mais que “rien n’indique que la disposition de 2003 y soit pour quelque chose”, puisque “le nombre de gardes à vue a reculé, passant de 5 000 en 2004 à 2 000 en 2008 et à 1 595 en 2011.” »

Les discussions, il faut le noter, ont été de grande qualité. Michel Savin (UMP) est le seul à s’être illustré en évoquant “les besoins” de clients “non satisfaits ou en détresse sexuelle” et à réclamer l’ouverture de “lieux de rencontre clairement identifiés”. Un langage dont l’archaïsme tranche avec des interventions montrant une véritable avancée des esprits, une conscience de la dimension politique de la prostitution, aux antipodes des représentations complaisantes qui ont si longtemps prévalu. Les véritables enjeux ne peuvent plus être ignorés : « Les droits et la dignité humaine sont incompatibles avec le fait que quiconque puisse disposer du corps d’autrui au motif qu’il paie », déclare Philippe Kaltenbach (PS).

« Je ne crois pas, comme a pu le dire Mme Badinter, enchaîne Laurence Rossignol (PS), que la liberté de se prostituer s’inscrive dans les luttes des femmes pour le droit à disposer de leur corps : la prostitution relève du droit des hommes à disposer du corps des femmes, droit de cuissage, devoir conjugal, repos du guerrier, dont les femmes n’ont pas fini de s’émanciper. » « Appuyons-nous sur la résolution votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale, qui affirme la responsabilité du client », propose Chantal Jouanno.

Cette vision de l’ampleur des enjeux a amené la plupart des intervenant-e-s à mettre en garde sur le caractère insuffisant de cette simple mesure d’abrogation et à se prononcer clairement en faveur d’une loi globale. L’exigence abolitionniste sa été souvent rappelée, avec des références au Rapport d’information Bousquet-Geoffroy et ses trente recommandations.

La ministre des droits des femmes, Najat Vallaut Belkacem, qui s’est félicitée de constater « un consensus transpartisan », a ainsi insisté sur la nécessité d’aller plus loin, en précisant que cette abrogation ne devait pas signifier une quelconque forme d’impunité à l’égard des proxénètes. « Notre politique, a-t-elle dit, repose sur deux piliers : la fermeté pénale et l’insertion sociale. » Elle a d’ailleurs rendu hommage au travail de l’OCRTEH, Office central de répression contre la traite des êtres humains, qui a permis le démantèlement de 52 réseaux en 2012.

Le texte du 28 mars aura t-il été une étape vers une loi d’ensemble sur la prostitution, promise pour l’automne 2013 ? Les douloureuses questions de l’abolition du système et de la pénalisation des "clients", largement évoquées lors des débats, y seraient enfin à l’ordre du jour. Divers amendements ont d’ailleurs été repoussés dans l’optique du futur débat global : pénalisation du éclient, droit à un titre de séjour pour les victimes de la traite ou du proxénétisme par exemple. Reste donc à attendre le projet de loi promis pour l’automne 2013. Et à conclure, avec Laurence Cohen (CRC) : « La prostitution mérite un grand débat. Selon la réponse, on verra le projet que porte notre société : aliénant ou émancipateur. »

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