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"Présenter la prostitution comme un travail, c’est légaliser l’exploitation sexuelle" - paroles de syndicats au Congrès international contre l’exploitation sexuelle des femmes et des filles (New Delhi, janvier 2017)

[Delhi, 31 janvier 2017] Lors du 2e Congrès international contre l’exploitation sexuelle des femmes et des filles, organisé par CAP International, une table ronde de syndicats a permis de mettre en évidence les prises de positions de syndicats de différents pays pour l’abolition du système prostitueur. Des représentant-e-s de France (CGT Femmes), Espagne (UGT), Inde (All India Trade Union Congress, All India Railway Men’s Association, National Hawkers Association, All India Hawker Women’s Federation, Hind Mazdoor Sabha, Indian National Trinamool Trade Union Congress, Safai Karmachari Andolan), ainsi que des messages vidéos du Canada (CSN), d’Irlande (ITUC) et de Norvège (LO), ont partagé leur vision du travail décent, de la dignité et des violences intrinsèques à la prostitution, qui ne peut être reconnue comme métier. Lisez ici le rapport du Congrès. Vous pouvez regarder les vidéos des interventions ici, ainsi qu’un clip résumant tout le Congrès ci-dessous, réalisé par CAP International.

Sabine Reynosa représentait le comité femmes de la Confédération générale des travailleurs (CGT, France). Voici son intervention :

"En France, la plupart des organisations syndicales établissent des barrières entre ce qui se passe dans l’entreprise, et qu’elles reconnaissent comme relevant de leur champ de compétences, et le “hors-travail”, qui relèverait uniquement de la sphère privée. D’où leur absence d’implication sur des sujets tels que les violences conjugales ou encore, la prostitution, puisque celle-ci n’est pas reconnue là-bas comme métier.

En revanche, le positionnement de la Cgt sur ces questions est lié à son identité d’organisation qui revendique une transformation sociale et l’abolition de toute forme d’exploitation, ainsi que des valeurs telles que l’égalité, notamment entre les femmes et les hommes. D’où l’engagement de la Cgt comme co-fondatrice du Collectif National pour les Droits des Femmes, mouvement féministe qui regroupe un grand nombre d’associations, et aussi des mouvements politiques. C’est essentiellement dans le cadre de ce mouvement que nous avons initié notre réflexion autour de la prostitution, et abouti à un positionnement clairement et ouvertement abolitionniste.

Pour autant, je mentirais si je vous disais que ces luttes sont spontanément apparues comme évidentes à l’ensemble de mes camarades, dans une organisation issue du mouvement ouvrier, historiquement forgée en majorité par des hommes.

En tant que Collectif Femmes Mixité, il nous a fallu argumenter, en nous appuyant sur nos statuts, nos valeurs, notre identité Cgt.

Et comme partout, il nous faut encore contrecarrer, pied à pied, la propagande des réglementaristes qui reprennent à leur compte, pour les détourner et les dévoyer, les arguments des féministes, notamment sur la liberté des femmes à disposer de leur corps, sur les questions de dignité et de respect des personnes en prostitution etc.
Les soi-disant travailleurs/ses du sexe font du lobbying à travers un soi-disant syndicat nommé le Strass. Ce nom résume parfaitement l’identité de cette organisation: ça brille, ça fait illusion, mais tout est faux derrière l’apparence et le discours.

Le Strass se revendique représentatif des personnes en prostitution. Affirmations basées sur aucune mesure quantitative, bien sûr. La part des hommes y est étonnamment élevée, pour une organisation qui se prétend de prostituées. Le Strass nous raconte de belles histoires de personnes travaillant de façon "indépendante et volontaire". Et leurs revendications portent sur le statut de ces personnes travaillant de façon "indépendante et volontaire"... soi-disant !

De la violence intrinsèque au commerce du sexe, de l’exploitation des personnes en prostitution, il n’est jamais question. En fait on ne s’intéresse, une fois encore, qu’à la minuscule frange de personnes qui affirment exercer cette activité de leur plein gré. Autrement dit, probablement les moins vulnérables et les moins exploitées, ou les plus imprégnées par le discours des dominants.
Et quand bien même ces personnes dites volontaires seraient plus de 5% ? Le problème n’est pas que quantitatif.

Il est qu’en tant que syndicalistes, nous ne pouvons nous abriter derrière cette illusoire proclamation du consentement.
Consentement entre parties inégales, qui permet de tout justifier. Or, la loi a pour fonction de protéger non seulement le faible contre le fort, mais aussi les personnes contre elles-mêmes, et notamment sur tout ce qui touche à la santé et la sécurité des plus vulnérables. Les enjeux sont d’ordre public, ils dépassent le cadre subjectif individuel pour fixer des limites à la logique de dumping social ; logique ici poussée à l’extrême avec cette « économie de marché radicale », pour reprendre l’expression d’un représentant des patrons de l’industrie du sexe en Allemagne.

Nous syndicalistes de terrain, déjà nous savons ce qu’il en est du consentement d’une personne soumise au lien de subordination en ce contexte de chômage de masse. Nous devons imaginer alors ce que peut être le consentement d’une femme parmi les plus vulnérables, comme l’attestent toutes les enquêtes et comme l’ont souligné ici les multiples témoignages.

C’est d’ailleurs aussi une des raisons pour lesquelles, en France et dans d’autres pays, la vente d’organe est interdite, y compris avec le consentement des donneurs. Le corps est considéré comme inaliénable et ne peut faire l’objet d’une transaction financière. Cette position fait consensus dans la société française, invalidant par la même occasion le recours à l’argument du droit à disposer de son corps.

Les réglementaristes cherchent à assimiler la prostitution à un travail, en arguant du fait que dans le travail aussi, il y a de la souffrance, et que légaliser la prostitution permettrait de l’encadrer et d’améliorer le sort des personnes en prostitution.

Mais dans le monde du travail, le contrat et la loi établissent les termes d’un échange : force de travail physique et intellectuelle contre salaire. Rapport inégal, certes. Mais les lois sociales posent des limites à ce rapport de subordination, qui n’équivaut pas à soumission totale. Le Code du Travail protège notre intimité et proclame des droits tels que santé et sécurité, dignité, vie privée… Bien au contraire, la prostitution implique en elle-même une violente atteinte à tous ces droits reconnus comme fondamentaux dans les autres sphères, et la soumission totale fait partie intégrante de l’activité prostitutionnelle.

Réglementer la prostitution au nom du “moindre mal”, c’est déjà accepter le mal. C’est au nom du “moindre mal”, que beaucoup acceptent la destruction, peu à peu, de toutes les protections sociales en France et partout dans le monde.
Et si nous acceptons l’irruption de la prostitution dans le champ du travail, cette destruction passe à la vitesse supérieure. D’ailleurs, la réglementation de la prostitution en Allemagne coïncide dans le temps avec la déréglementation des lois sociales et avec l’instauration de mini-jobs...

Reconnaître la prostitution comme un métier implique de prévoir des formations à la prostitution, c’est-à-dire à la soumission totale, d’accueillir des stagiaires, des apprenti.e.s; cela implique d’orienter les jeunes et toute personne en recherche d’emploi vers ce secteur qui recrute. Toute femme est alors susceptible d’être prostituée. La disponibilité sexuelle apparaît comme une extension du champ de compétence.

A quoi bon, alors, les directives européennes et autres législations nationales sur le harcèlement sexuel, qui prohibent tout rapport marchand dans la sexualité, au travail et dans la société ? Qui interdisent de ramener les femmes à un statut d’objet sexuel au service des désirs des hommes ? Considérer la prostitution comme un métier reviendrait à définir des zones de non-droit. Et ces zones de non-droit deviendraient la norme tôt ou tard.

Présenter la prostitution comme un travail, c’est la banaliser et créer les conditions de son développement, c’est légaliser l’exploitation sexuelle, c’est admettre la domination des hommes sur les femmes, des dominants sur les personnes les plus vulnérables, de certains groupes humains sur d’autres, c’est encourager les violences sexistes et sexuelles dans tous les champs de la société.

Ainsi, les enjeux ne sont pas que éthiques, ils dépassent largement le secteur de l’industrie du sexe, ils concernent tout le monde du travail en proposant un nouveau paradigme. La question de la prostitution, loin d’être périphérique, représente un enjeu central pour les syndicats. Si on accepte de considérer comme des emplois, des activités basées sur une soumission pleine et entière et sur le don de son intimité, c’est l’ensemble des normes sociales et des relations de travail que l’on tire vers le bas. Et l’on n’aura plus qu’à assister avec impuissance à l’écroulement de tout l’édifice de la législation sociale !"

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