EWL press coverage

Au coeur de la bataille

L’Echo a envoyé un journaliste dans l’arène, là où les femmes combattent au quotidien : le Lobby Européen des Femmes.

Expérience. texte: frédéric rohart photos: wim kempenaers

Je ne pensais pas que ça me ferait le moindre effet, et pourtant… Être le seul homme dans les locaux du Lobby Européen des Femmes, ça ne laisse pas de marbre. Oh, ce n’est pas grand-chose. C’est à peine perceptible. Mais il y avait cet après-midi là comme une légère tension dans la salle de réunion ensoleillée du 18, rue Hydraulique à Bruxelles. Comme si je craignais d’être pris en faute, en flagrant délit de sexisme. Il va sans dire que je soutiens la cause de l’égalité hommes-femmes, mais jusqu’à quel point ? Et puis, on n’est jamais à l’abri d’une idée préconçue…

Pourtant, les bureaux du Lobby Européen des Femmes (LEF) sont rassurants. Ambiance chaude et studieuse. Les murs sont couverts d’affiches contre la prostitution. Une série de cadres exposent des femmes aux métiers masculins: une bouchère, une boxeuse, une peintre en bâtiment… Un peu cliché, mais plutôt amusant. L’accueil de Cécile Gréboval, la patronne des lieux, est cordial. Ca commence bien.
La Secrétaire Générale est à bord du LEF depuis 15 ans, mais la création du lobby remonte à 1990. "Il a été soutenu à l’origine par quelques femmes engagées au sein de la Commission", explique-t-elle. Son utilité coulait de source: beaucoup de décisions concernant l’égalité hommes-femmes dépendent des institutions européennes, il fallait donc représenter les femmes européennes à Bruxelles. Comme toutes les ONG qui gravitent autour du Berlaymont, le lobby des femmes entendait combler le vide qui se formait entre les citoyens et la bureaucratie européenne par une organisation "représentative et démocratique". Car la petite structure n’est que le sommet d’une gigantesque pyramide sociale: elle représente quelque 2.500 associations au travers d’une cinquantaine de coordinations nationales et transnationales. Financé à 82% par la Commission, le lobby est assuré d’une écoute bienveillante de la part du Commissaire européen le plus expérimenté: la vice-présidente Viviane Reding, en charge des Droits fondamentaux.

"Conservatisme économique"

Interview classique, donc : de l’histoire, des chiffres, rien de déstabilisant pour l‘instant. Cécile Gréboval poursuit. Dans les grandes lignes, les objectifs du LEF n’ont rien de surprenant: on répercute les priorités définies par les membres et on se calque sur les agendas des institutions européennes… "En ce moment, nous travaillons beaucoup contre les violences faites aux femmes, mais aussi sur l’indépendance économique, ou encore la parité dans les structures de décisions." Les thèmes généraux n’ont pas changé en vingt ans. Mais la manière de les traiter évolue, explique la patronne du lobby: "En matière économique, on travaille par exemple beaucoup plus sur les questions liées aux retraites qu’il y a dix ans : le sujet revient à l’ordre du jour dans les agendas." Et le LEF est forcé de dépoussiérer ses dossiers sur le droit à l’avortement à mesure que s’opère "un retour en arrière" sur ce genre de questions dans certains pays d‘Europe. Eh oui: "Nous sommes confrontées aux conservatismes de toutes sortes : religieux, économique…"
Attendez... Le "conservatisme économique" nuirait aux femmes ? Cécile Gréboval reste conciliante. "Bien sûr ! Les politiques néo-libérales ne sont pas favorables aux femmes en général", tranche-t-elle. "Si un pays décrète que la durée normale d’une hospitalisation doit passer de 4 à 3 jours, cela reporte les soins sur une personne tierce, en général une femme. Quand un gouvernement décide d’arrêter de subventionner les crèches, il force les ménages à faire un arbitrage, et c’est en général la femme qui reste à la maison", abonde mon interlocutrice. Conclusion : "Les coupes dans les services publics ont en général une influence directe sur l’égalité homme-femme."

Le féminisme n’est pas mort

Impossible d’éluder un mot éculé, au risque de sombrer dans le cliché : le féminisme. Cécile Gréboval ne prend pas la mouche. "On doit continuer à utiliser le mot, mais il est intéressant de le démystifier", sourit-elle. Les femmes le voient peut être différemment par rapport aux années 70, "mais je ne crois pas qu’à l’époque elles s’en revendiquaient toutes", poursuit-elle. Je me hasarde naïvement à la paraphraser: le mouvement existe donc toujours, mais il prône un changement moins radical qu’à l’époque... Mon interlocutrice tressaillit. "Le féminisme prône un changement radical, et le changement que nous espérons l’est tout autant", dit-elle dans un froncement de sourcils. À savoir : l’égalité hommes-femmes. "Ce qui signifie que les femmes doivent avoir les mêmes possibilités que les hommes. On n’a de liberté que lorsque les opportunités sont les mêmes, quand l’accès aux ressources est le même."

N’est-ce pas déjà le cas sur le papier ? L’égalité hommes-femmes est inscrite comme principe fondateur de l’Union européenne dans les traités... "Effectivement, et l’inscription de ce principe dans le traité d’Amsterdam, en 1997, est d’ailleurs l’une de nos grandes victoires. Il y a beaucoup de lois, mais encore énormément de choses à améliorer". Pour Cécile Gréboval, il faut par exemple allonger le congé de maternité et le payer. "Ce serait une façon de contrebalancer les inégalités salariales et les discriminations envers les femmes dans les entreprises. L’idée a été adoptée par le Parlement européen, mais elle a été bloquée par le Conseil des ministres." Les médicaments posent aussi des questions d’égalité hommes-femmes, embraye-t-elle: "Ils sont généralement testés sur des hommes, simplement parce qu’ils n’ont pas de cycles menstruels et que l’analyse est considérée comme plus simple et moins coûteuse. Certains médicaments ont donc des effets secondaires différents d’un sexe à l’autre, mais cela n’apparaît pas sur la notice. Dans certains cas, un médicament est efficace sur un homme mais contreproductif pour une femme !"

Je vais de surprise en surprise: aucun secteur n’échappe au LEF. Son principal ennemi a par exemple longtemps été l’industrie de l’assurance. C’était à l’époque où les assureurs distinguaient les sexes dans leurs bases de données: "Cela leur permettait d’appliquer des tarifs plus élevés pour les assurances retraites des femmes au motif qu’elles vivent en moyenne plus longtemps." Le lobby se bat aussi pour que les marchés publics prennent systématiquement en compte l’égalité des sexes, poursuit-elle. Le budget "sport" des communes l’illustre bien: "En général, la majorité du budget sport part dans l’entretien du terrain de foot... Il faut soit encourager son utilisation par les femmes, soit rééquilibrer les dépenses vers des sports pratiqués par les femmes", défend le LEF. Et ce qui vaut pour un budget communal vaut a fortiori pour celui de l’Europe. "On débat de l’instauration d’une TVA pour financer le fonctionnement de l’Union européenne... C’est une taxe aveugle, qui touche plus fort les personnes à bas revenu..." Et donc, les femmes ?

Cécile Gréboval a une formule choc pour ancrer cette inégalité de revenus dans la tête de ceux qui la sous-estiment: en Europe, "les hommes qui ont des enfants gagnent plus que ceux qui n’en ont pas. Les femmes qui ont des enfants gagnent moins que celles qui n’en ont pas."

Une bonne heure au Lobby Européen des Femmes, aura donc suffi à me faire réaliser que ces inégalités, je n’en avais vraiment pas conscience. Mission accomplie pour mon interlocutrice. C’est son métier. Sur les centaines de groupes de pressions basés à Bruxelles, le LEF est d’ailleurs le seul à s’être fièrement nommé "Lobby".

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EWL event "Progress towards a Europe free from all forms of male violence" to mark the 10th aniversary of the Istanbul Convention, 12 May 2021.

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