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La Fondation Scelles réaffirme son soutien à l’abolition de la prostitution, un "crime organisé"

[La Fondation Scelles, Paris, le 29 août 2012] La Fondation Scelles, qui lutte contre l’exploitation sexuelle, répond à son tour à la tribune d’un groupe d’intellectuels français parue dans le Nouvel Obs le 22 août s’opposant à la volonté de la Ministre des Droits des Femmes Najat Vallaud-Belkacem d’abolir la prostitution.

Réponse à la tribune du Nouvel Obs 23 au 29 août 2012

Vouloir « abolir la prostitution » est une utopie, c’est certain. Aucun législateur
n’imagine que légiférer contre le terrorisme, les crimes de guerre, l’assassinat, le viol,
l’inceste suffira à éradiquer ces fléaux mais il oeuvre à en limiter la pratique.

« L’interdiction de la prostitution est une chimère », non puisqu’il suffit d’adapter le
dispositif législatif pour que cela devienne une pratique condamnable, avec plus ou
moins d’efficacité, suivant que seuls proxénètes ou les clients également seront
déclarés hors la loi.

Notons que les pays qui ont décidé de légaliser la prostitution dans le but de la
décriminaliser en en règlementant la pratique ont échoué : ils ont vu se développer
toutes les autres formes d’activités criminelles en articulation avec le commerce de la
prostitution.

Défendre le système prostitutionnel au nom de la liberté de disposer de son corps et
de choisir librement sa sexualité, au prétexte que certaines personnes prostituées
disent s’épanouir dans leur activité, est dangereux en ce que cela implique qu’au
nom du plaisir individuel d’une minorité les conditions d’assujettissement du plus
grand nombre seraient facilitées.

Dans un système démocratique les dispositifs légaux visent l’intérêt du plus grand
nombre et la jurisprudence est là pour moduler l’application de la loi aux cas par cas.
Qui songerait décemment, au prétexte que certaines femmes battues semblent
consentantes à remettre en cause le dispositif législatif qui protège les femmes
victimes de violences conjugales et qui a introduit la notion de viol dans le cadre du
mariage ?

Nous refusons d’entrer dans un débat moral ou psychologique qui viserait à
déterminer la part de consentement réel ou de déni dont le discours des personnes
qui témoignent peut être porteur. Nous ne défendons pas « l’utopie d’une sexualité
parfaitement régulée » qui serait une forme moderne de totalitarisme. Nous militons
pour d’interdire l’usage criminel qui est fait de la sexualité.

Car il s’agit bien de crime et de crime organisé. Rappelons en effet que toutes les
études françaises et internationales qui ont été réalisées sur la question démontrent
que l’immense majorité des personnes prostituées sont sous la coupe de proxénètes.

La « petite entreprise » du ou de la prostitué(e) indépendant(e) chantée par Alain
Bashung est en voie de disparition, reléguée au musée des curiosités médiatiques.
Nous sommes bel et bien dans l’ère de l’exploitation industrielle du corps et du sexe :
compte tenu de la faiblesse des condamnations prononcées contre les proxénètes, la
prostitution – et à une moindre échelle la vente d’organe - est la branche la moins
risquée du crime organisé et l’une des plus lucratives si on lui applique les ratios
chiffre d’affaire et marge nette appliqués aux entreprises de l’économie officielle.

De même qu’il serait utopique d’attendre que les marchés financiers se régulent
d’eux même – les crises financières successives depuis 2008 sont édifiantes -, les enjeux de la traite à usage sexuelle sont colossaux de sorte que, sans une rigueur
accrue, un nombre croissant de personnes vulnérables seront broyées par cette
machine à profit d’une férocité sans limites. Nous tenons à la disposition des
signataires de l’appel qui le souhaiteront les témoignages, constats médicaux et
études sur lesquels la Fondation Scelles et les associations de terrain s’appuient pour
défendre leur position abolitionniste.

Depuis des millénaires la loi a toujours rempli la fonction de protéger le corps social
des ferments de désagrégation [1] qui la menacent. Dans notre droit moderne la loi et
ceux qui l’appliquent doivent aussi protéger par tous les moyens dont ils disposent
les personnes en situation de vulnérabilité contre elles-mêmes et contre ceux qui les
exploitent.

Parmi les personnes prostituées on compte une écrasante majorité de femme et un
nombre toujours croissant de mineurs (près de la moitié). Il s’agit des deux catégories
d’individus qui pendant des millénaires ont été maintenus dans un statut de
dépendance matérielle, d’inexistence juridique et d’assujettissement au représentant
de l’ordre social ou familial qui décidait de leur vie sexuelle ou de leur survie.

Pour quelques exceptions tolérées dans les cénacles du pouvoir ou du savoir,
l’immense majorité des femmes, toutes cultures confondues, a été opprimée par les
forces du pouvoir, de l’argent, du savoir et du sexe. Aujourd’hui on voudrait nous
faire croire que vendre son corps ou recourir aux services sexuels tarifés de
prostitué(e)s des deux sexes est l’ultime avancée de la conquête de leur
indépendance par les femmes.

Cela nous semble symptomatique d’une société marquée par un écart grandissant
entre un discours libertaire au service duquel se rangent, en toute bonne foi nous en
sommes convaincus des intellectuels comme les signataires de l’appel, et une réalité
où les individus ne comptent que pour autant qu’ils se plient aux impératifs de
profit : ils doivent être de fervent consommateurs ; à défaut de pouvoir tenir cette
place on ne leur laisse que celle d’objet de consommation.

Dominique Charpenel
Chargée de la communication de la Fondation Scelles
Psychanalyste accueillant les victimes au sein des Equipes d’Action Contre le Proxénétisme
(EACP)

© Fondation Scelles

[1Leur nature a bien évidemment grandement varié selon les régions, les époques et suivant les pratiques
idéologiques, morales et religieuses en vigueur.

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