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France - La prostitution n’est pas une fatalité, disent les membres de l’Assemblee nationale

[Bruxelles, le 12 avril 2011] Un texte de loi prévoyant de punir les clients des prostituées, sur le modèle de ce qui existe déjà en Suède, sera bientôt déposé en France. Danielle Bousquet et Guy Geoffroy, respectivement présidente et rapporteur de la mission d’information sur la prostitution en France de l’Assemblée nationale, ont ce mardi publié dans Le Monde un article soutenant la légistation.

Le plus vieux métier du monde. Cette expression, la mission d’information parlementaire sur la prostitution l’a entendue à de nombreuses reprises. Elle l’a entendue à La Haye, en Catalogne, et parfois à Paris, à l’occasion de ses auditions. Souvent utilisée pour couper court à tout débat, cette conception fait de la prostitution une fatalité. Dès lors, dans ce domaine, les pouvoirs publics n’auraient d’autre choix que de réguler cette activité pour en limiter les dérives les plus choquantes.

En quoi la prostitution serait-elle inscrite dans les gènes de toute société ? Les lieux communs abondent : elle réduirait le nombre de viols et permettrait à certains hommes d’accéder à une forme de sexualité. Pour le dire clairement, elle répondrait aux besoins sexuels masculins, conçus comme irrépressibles, puisque la quasi-totalité des clients sont des hommes. Assénées comme des vérités définitives, ces évidences ne sont jamais analysées. La mission d’information a donc voulu les étudier, en menant un travail de fond, nourri par plus de 200 auditions.

Non, le taux de viol n’a pas augmenté là où la prostitution a été rendue plus difficile. Il n’est donc pas nécessaire d’offrir les prostituées en pâture aux violeurs pour éviter qu’ils ne s’en prennent aux jeunes filles. Non, les clients ne vivent pas dans la misère sexuelle. Aux dires des personnes prostituées, il s’agit de M. Tout-le-Monde, constat que les études sociologiques confirment. Et comme le dit avec une forme d’humour un document de l’Unicef : "Aucun impératif biologique n’impose un nombre fixe d’orgasmes par jour, par semaine ou par an."

Il faut se résoudre à l’évidence : si la prostitution perdure, et avec elle la traite des êtres humains et l’exploitation sexuelle, ce n’est pas parce qu’elle constitue une fatalité, mais parce que personne ne s’y intéresse.

Pourtant, la réalité est sous nos yeux. Aujourd’hui, en France, 80 % des personnes prostituées sont étrangères, généralement en situation irrégulière, sans que personne ne se demande comment elles ont pu venir d’Europe de l’Est, de Nigeria ou de Chine jusque sur nos trottoirs. Les personnes prostituées subissent des violences que quiconque qualifierait d’insoutenables. D’après les études internationales, la majorité d’entre elles subit plus de cinq viols durant l’exercice de cette activité.

NOUVEAU REGARD

Pourtant, les "putes" sont stigmatisées, dénigrées et quotidiennement injuriées, rabaissées au rang d’êtres inférieurs ; leurs droits les plus fondamentaux sont déniés. De l’autre côté, que de bienveillance, voire de complaisance, pour le client ! Ce pauvre homme dont le seul petit plaisir est "d’aller aux putes". Ce serait presque lui que l’on considérerait comme une victime, de sa solitude.

Il est temps d’ouvrir les yeux sur cette réalité. Il est temps de revenir à nos valeurs les plus profondes et les mieux partagées. Il est enfin temps d’analyser la prostitution au regard du respect dû à l’être humain, de la "non-patrimonialité" du corps humain et de l’égalité entre les sexes. Peut-on, à la lumière de ces principes, tolérer que l’on loue les organes sexuels d’autrui ? Doit-on accepter que les hommes puissent avoir à tout moment des femmes à disposition ? Comment ne pas comprendre qu’accepter cet état de fait, c’est empêcher toute égalité réelle entre les sexes ?

Si des députés de droite comme de gauche ont pu s’accorder sur les réponses à donner à ces questions, c’est parce que nous partageons les mêmes valeurs démocratiques et républicaines. Tirant les conséquences de ces valeurs, nous pensons qu’il est nécessaire que notre société ouvre les yeux sur la réalité de la prostitution et qu’elle change de regard sur les personnes prostituées et sur leurs clients.

Certains pays nous montrent en quoi pourrait se constituer ce nouveau regard. La Suède vient d’évaluer la loi de 1998 qui a fait de ce pays le premier à rendre les clients passibles de sanctions pénales. Les résultats sont là : la prostitution de rue a été divisée par deux sans augmentation corrélative de la prostitution sur Internet, l’opinion publique initialement hostile à la loi la soutient désormais massivement, de même que l’ensemble des formations politiques.

Enfin, les services de police suédois savent désormais, écoutes téléphoniques à l’appui, que cette législation dissuade les réseaux d’exploitation sexuelle de s’implanter en Suède. La Norvège et l’Islande viennent d’adopter une loi comparable et l’Irlande y réfléchit.

Nous savons bien que la pénalisation des clients ne fera pas disparaître du jour au lendemain la prostitution. Mais nous pensons également que ce n’est pas parce qu’il continue d’y avoir des viols qu’il ne faut pas les sanctionner.

Ce qui est indispensable, c’est de poser l’interdit dans notre droit, véritable miroir des valeurs d’une société, d’engager un travail de sensibilisation à la réalité de la prostitution et d’amener chacun à réfléchir sur les conséquences de ses actes.

Non, la prostitution n’est pas une fatalité.


Danielle Bousquet et Guy Geoffroy sont respectivement présidente et rapporteur de la mission d’information sur la prostitution en France de l’Assemblée nationale

Danielle Bousquet, députée PS (Côtes-d’Armor) et Guy Geoffroy, député UMP (Seine-et-Marne)

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