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Frédéric Boisard: « Le tourisme sexuel est un extra qui fait partie du trip »

Par Anaïs Leleux - 31/05/2012

Reconnue d’utilité publique, la Fondation Scelles lutte, depuis 1993, contre la prostitution, le trafic d’êtres humains, le tourisme sexuel et la pornographie. A quelques jours seulement du lancement de l’Euro 2012 de foot, Frédéric Boisard, chargé de projet pour l’association, est revenu, pour Jol Press, sur le rôle joué par les grands événements mondiaux dans le développement de la prostitution et du tourisme sexuel.

Les pays d’Europe de l’Est sont particulièrement touchés par le tourisme sexuel. Qu’est-ce qui rend cette région aussi "attractive" ?

Frédéric Boisard: Le tourisme sexuel se pratique aussi en Europe occidentale. De ce côté-là, nous n’avons aucune leçon à donner à qui que ce soit. Mais, effectivement, les pays d’Europe de l’Est sont très concernés. La Lettonie, par exemple, voit débarquer des vagues de touristes, de jeunes hommes venus « enterrer leur vie de garçons » entre autres, originaires des pays scandinaves, du Royaume-Uni ou même de France... L’Ukraine est effectivement très marquée par la prostitution mais il faut prendre en compte la situation économique difficile. Pour de nombreuses jeunes femmes, la prostitution apparaît d’abord comme un moyen de « survire » ou, à tout le moins, d’améliorer son quotidien voire de changer sa condition.
Une corrélation constatée

La prostitution semble se développer en marge de grands événements sportifs. Pensez-vous que pour les amateurs de football, l’offre sexuelle en Ukraine constitue une motivation supplémentaire d’assister à l’Euro 2012 ?

Frédéric Boisard: Pour les supporters, c’est un « à-côté », un « extra » qui fait partie du trip. Attention, tous les supporters ne vont pas aller voir des personnes prostituées et tous ceux qui vont les voir ne sont pas des supporters. Il n’y a pas de systématisme. Ce serait inquiétant, si tel était le cas. Il se trouve que nous, à la Fondation Scelles, avons effectivement remarqué une corrélation très poussée entre chaque évènement ou rassemblement de personnes et une recrudescence de l’activité prostitutionnelle. Cela ne concerne pas que le foot. C’est le cas aussi pour les grands Prix de F1, le Festival de Cannes, une séance au Parlement européen, une Coupe du Monde, un « Euro » etc... Chaque fois, les réseaux s’organisent, font venir ou déplacent exprès des filles pendant la durée de l’événement.

Des tribunaux d’exception et des rues « nettoyées »
Dans le rapport sur l’exploitation sexuelle que vous avez publié en janvier dernier, vous évoquiez le développement de la prostitution en Afrique du Sud pendant la Coupe du Monde. Quelle était la situation ?

Frédéric Boisard: Après ce qui s’est passé en Allemagne et avec le discours de bon nombre d’organisations, les gouvernements semblent désormais prendre en compte ce problème. Cela a été le cas avec l’Afrique du Sud, où les contrôles aux frontières ont été particulièrement renforcés, des tribunaux d’exception installés dans toutes les villes accueillant la compétition et les rues ont été « nettoyées ». Beaucoup de filles se sont retrouvées dans des lieux d’hébergement sans qu’on leur demande forcément leur avis. Mais il n’y a pas eu de poussée généralisée de la demande. Mis à part quelques arrivées de Chinoises, le phénomène n’a, semble-t-il, pas eu l’ampleur prévue.

Une forte mobilisation des féministes et l’investissement des autorités locales
Est-ce la même chose qui se profile en Ukraine et en Pologne ? Ou peut-on déjà relever quelques différences ?

Frédéric Boisard: Je pense que le phénomène sera très différent d’avec l’Afrique du Sud. C’est uniquement européen et assez proche de chez nous. Je pense également que la différence sera très importante entre l’Ukraine et la Pologne. La Pologne a engagé récemment de nombreuses actions de prévention, d’aide à la réinsertion pour les victimes de traite à des fins de prostitution. Même si des jeunes femmes polonaises sont encore exploitées à l’étranger et d’autres dans leur pays, cela n’a rien à voir avec ce qui se passe en Ukraine. Je crois aussi que l’on peut compter sur une forte mobilisation des féministes. Des actions surprenantes de la part des FEMEN sont à prévoir. Au niveau européen, le Lobby Européen des Femmes vient également de lancer une campagne de prévention à ce sujet.
Encourager les réseaux criminels

La meilleure façon de lutter contre ce tourisme sexuel et de protéger les « travailleuses du sexe » ne serait-elle pas de légaliser la prostitution à l’échelle nationale ?

Frédéric Boisard: Partout en Europe, les pays qui ont légalisé font aujourd’hui le constat (et de plus en plus ouvertement) d’une forte proportion de clandestinité parmi les personnes prostituées... Il y a toujours autant de personnes étrangères, souvent en situation irrégulière. C’est le cas aux Pays-Bas, En Allemagne, en Suisse... Réglementer, c’est envoyer un signal fort au crime organisé et aux réseaux de tout poil pour leur dire : « allez-y venez, il y a de l’argent à se faire ». C’est bien par les réseaux que ces filles viennent. Elles ne voyagent pas seules. Volontaires ou pas, elles paient et doivent rembourser une dette qui ne fera qu’augmenter par la suite. C’est tout ce système que nous souhaitons dénoncer. Car c’est ainsi que l’on organise la contrainte et l’exploitation.

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